Le travail d’une œuvre musicale

Il y a quatre étapes.

  1. La connaissance de l’œuvre.
  2. Le travail sur les fragments.
  3. Le travail sur l’œuvre dans son ensemble.
  4. La préparation pour la scène : jouer l’œuvre en public.

Il faut essayer de comprendre le contenu émotionnel de l’œuvre avant même de se mettre face au clavier ! On évite ainsi de ressentir les difficultés techniques dès le départ, tant il est vrai que la concentration est gênée, perturbée par l’acte physique de jouer. C’est en essayant d’imaginer intérieurement la musique que nous allons vers l’émotion. La concrétisation de l’image musicale dans l’esprit permet seule d’atteindre l’excellence technique.
Il faut donc, en déchiffrant l’œuvre, essayer d’en saisir le caractère général.

I- La connaissance de l’œuvre

A) Analyser la structure de l’œuvre

Combien de parties l’œuvre comporte-t-elle ?
Formuler le caractère de chacune de ces parties.
Ces parties sont-elles liées entre elles ?
Analyser les mélodies, le caractère de leur dessin et trouver leur point culminant.
Analyser l’harmonie et son caractère. Déterminer où se trouvent les modulations.
Analyser les problèmes techniques.

B) Assimiler consciemment des éléments différents

Chaque détail est important : doigtés, rythme, sonorité, expression, caractère agogique, difficultés techniques majeures, indications du compositeur, notamment en matière d’expression.

L’analyse doit être à la fois théorique et artistique.

Quelle place la pièce occupe-t-elle dans l’œuvre du compositeur ? En quoi cette œuvre diffère-t-elle d’autres pièces du même type ?

II- Le travail sur les fragments

La taille du fragment sur lequel on travaille dépend de sa complexité et de sa difficulté.

Chaque fragment doit être assimilé auditivement.
Chaque répétition doit être meilleure.
Ne pas répéter le fragment sans avoir un but concret.
Ce but doit être formulé, il doit être conscient à chaque répétition.
C’est pour cette raison que la répétition de fragments plus longs sera réservée à une étape plus tardive.

Plus les problèmes sont nombreux, plus le fragment sera petit, son ampleur pouvant même se réduire si besoin est à quelques notes. C’est seulement après qu’on aura maîtrisé les petits fragments qu’on les liera entre eux. Chaque petit passage d’en endroit techniquement difficile pour les doigts ou pour la mémoire devra faire l’objet d’une attention extrêmement soutenue, et ce dès le début de l’étude.

Une règle : ajouter les difficultés par couches successives.
Trois formes de travail sur les fragments.
a) Avec les corrections. S’il y a une faute, retourner un peu en arrière et essayer d’anticiper la faute pour qu’elle ne se reproduise pas.

b) et c) Avec la technique des arrêts ou des ralentissements. Dans la technique des arrêts (b), nous nous arrêtons devant l’endroit difficile le temps nécessaire pour imaginer le son et concevoir le geste correct avant de le réaliser. Dans la technique des ralentissements (c), nous ralentissons consciemment en approchant de l’endroit difficile. Le ralentissement nous permet d’anticiper mentalement le mouvement.

Les fragments seront progressivement élargis, mais il est souvent nécessaire de revenir aux fragments plus petits. Il vaut mieux, en ce cas, faire un montage de gauche à droite. Sans un tel travail le fragment ne sera pas assimilé.

Ce travail doit être intellectuel et conscient : tout doit pouvoir être verbalisé ; il faut aussi être capable de jouer le fragment à partir de n’importe quel endroit.

Par ailleurs, travailler sur le fragment sans jouer celui-ci permet une réflexion plus profonde et fortifie l’imagination, ce qui est également très important pour la technique.

Doigté, geste et sonorité doivent être formulés consciemment. Chaque problème technique doit être travaillé et assimilé mentalement en liant tous ces éléments. Ces derniers ne sont pas seulement mécaniques : chant, couleur, émotion doivent aussi être progressivement améliorés.

Jouer trop vite et trop tôt f ou ff peut abîmer la sonorité et ruiner la coordination. Ne pas attendre pour faire des nuances délicates, elles stimulent la coordination et l’écoute.

Les buts artistiques sont stimulés par la lecture répétée du texte, hors instrument : on doit faire attention à toutes les indications du compositeur : rythme, nuances, articulations, liaisons du phrasé, doigtés…

Il faut aussi écouter et entendre avec exactitude son propre jeu : faux accents, accords incomplets ou qui ne sonnent pas bien, agogique trop raide, mauvaises proportions entre les mains, jeu ennuyeux.
Il faut sentir son corps, la qualité tactile des mouvements, le contact avec le clavier, la tension dans les différentes parties du corps, ainsi que l’inconfort de certains mouvements.
Il faut continuellement approfondir l’analyse théorique, ce qui permet de découvrir des structures plus complexes, ou d’autres nuances d’expression, ou encore des voix cachées.
On s’arrêtera aussi sur les moments exceptionnels de l’exécution afin d’analyser ce qui en a fait la réussite et la beauté (couleur, phrasé, nouveau regard porté sur le caractère du passage…).
Une règle : il faut varier continuellement la forme et le degré du travail.

Travailler dans des tempi très variés favorise ainsi la concentration et la patience rythmique. Travailler dans des nuances différentes entraîne une meilleure écoute et développe le sens de la couleur.

Retourner aux voix séparées et aux mains séparées renforce le doigté et la précision de l’image auditive. Si on joue trop les mains ensemble, les mouvements des deux mains s’identifient trop et ne sont plus indépendants. Retourner toujours aux endroits difficiles.

La technique de l’apprentissage par cœur.

Apprendre les mains séparées par cœur s’avère le moyen le plus efficace pour développer une mémoire sûre. Il est faux de penser que la mémoire vient toute seule. Il faut apprendre par cœur activement et consciemment.

  1. Jouer le fragment lentement en regardant la partition.
  2. Jouer le fragment mentalement en regardant la partition. Il faut imaginer la musique, le clavier, le doigté, et le sens tactile du geste.
  3. Faire « 2 » en regardant le clavier.
  4. Faire “2” avec les yeux fermés.
  5. Jouer le fragment plusieurs fois.
  6. Jouer le fragment les yeux fermés.

Il ne faut pas jouer plus que ce que l’imagination n’est capable de concevoir. Commencer toujours avec le fragment le plus difficile et aller de droite à gauche. Commencer dès le début du morceau pendant plusieurs jours et seulement après lier les fragments. Plus le fragment sera long, moins rapide sera le tempo. C’est ici que la technique des arrêts et celle des ralentissements prennent toute leur importance. Jouer beaucoup dans des tempi lents et confortables. Plus le fragment est long, plus la qualité artistique doit être approfondie.

Si l’impulsion artistique s’affaiblit, on peut souligner d’autres éléments : exagérer la clarté de la mélodie, mettre en valeur des voix secondaires, exagérer les nuances à l’intérieur de la phrase ou jouer dans un style improvisé.

Les endroits techniquement difficiles nécessitent une attention particulière. Il faut essayer à leur propos beaucoup d’approches différentes : allonger ces passages progressivement, utiliser la technique des ralentissements et la technique des arrêts, varier les tempi, jouer les mains séparées, jouer trop vite, composer ses propres exercices…

La qualité et la quantité des répétitions sont primordiales. Plus le fragment est court, plus on peut le répéter. Il faut s’arrêter entre les répétitions et essayer de faire en sorte que la répétition suivante soit meilleure. Si la répétition est mauvaise, c’est parce que le fragment est trop long, ou le tempo trop rapide, ou parce que les mains séparées ne sont pas encore assimilées. Quand on répète, l’expression émotionnelle et imaginative s’affaiblit. Faire en sorte que la première répétition soit bonne.

III- Le travail sur l’œuvre dans son entier

Les buts à atteindre sont :

  1. Construire des intentions artistiques et les réaliser avec tous leurs détails.
  2. Réaliser une saturation émotionnelle dans la continuité.
  3. Réaliser tous les moyens d’expression a tempo.
  4. Parvenir à une liberté artistique avec un style spontané.
  5. Arriver à un maximum de sûreté et de liberté techniques.

En jouant l’œuvre en entier, faire attention aux endroits

  1. Où il y a des fausses notes.
  2. Où il y a des problèmes techniques.
  3. Où il y a un sentiment de fatigue psychique ou physique.
  4. Où il y a des points culminants trop semblables.
  5. Où il y a des faiblesses de mémoire.
  6. Où il n’y a pas assez de contrastes.
  7. Où la sonorité n’est pas adéquate à l’expression musicale.
  8. Où le rythme n’est pas bon.
  9. Où il y a des passages monotones ou des p et des f trop tôt.
  10. Où il y a des séries de phrases trop semblables.
  11. Où il y a des changements de tempo trop grands ou non justifiés, ou à l’inverse un jeu trop métronomique.
  12. Où la concentration se relâche.

Analyser la partition et déterminer maintenant les nouveaux buts à atteindre. Ne pas jouer l’œuvre plus d’une fois par jour constitue le pivot central de notre travail. Il faut continuer à travailler sur les fragments, tant pour la mémoire que pour la technique.

IV- Préparation pour la scène

Il faut une grande force spirituelle et un grand sens de notre responsabilité pour ne pas céder à la tentation de jouer l’œuvre plus d’une fois par jour.
Il faut travailler le programme mentalement, surtout les passages insatisfaisants.
Il faut pouvoir jouer mentalement sans aucun effort chaque endroit de chaque morceau à partir de n’importe quel point.
Il faut pouvoir jouer à partir de n’importe quel endroit dans n’importe quel tempo.
Il faut avoir une réserve de vitesse et de force.
Il faut pouvoir répéter n’importe quel endroit plusieurs fois de manière identique.
Il ne faut pas avoir la sensation qu’il subsiste un endroit difficile. Si c’est néanmoins le cas, cela signifie que l’endroit n’a pas été appris.